Simone Gouzé, femme historique, artiste et exploratrice

S’inscrivant dans le mouvement massif de redécouverte de figures importantes féminines, Simone Gouzé, exploratrice et dessinatrice, première femme à parcourir les montagnes du Yunnan et à en représenter le peuple Yi, vient remplir les rangs des pionnières et artistes oubliées de l’histoire. Femme de tête et d’art, distinguée par sa soif de découverte, et son indépendance, Simone Gouzé est sans doute aux arts graphiques et à la Chine ce qu’Alexandra David-Néel représente pour la littérature, et le Tibet.

A travers ce personnage, sa vie, ses voyages, et surtout les nombreuses représentations de la Chine des années 1930 qu’elle nous laisse, on découvre le regard singulier porté par une femme Française du début du 20ème siècle sur le monde qui l’entoure, et notamment sur le peuple Yi, minorité ethnique Chinoise pour la première fois représentée par une artiste européenne.

Premiers contacts avec l’Asie

Mars 1928. Dans un monde colonisé, dans lequel les voyages entre les continents sont rendus possibles, car plus sûrs, et dans lequel les échanges culturels s’intensifient, Simone Gouzé débarque à Saïgon, dans ce qui était alors la Cochinchine, région au sud de l’actuel Vietnam. Cette arrivée en Asie du Sud-Est initiera un séjour de cinq années au cours des quelles elle constituera une œuvre majeure. Animée d’une détermination de fer, et d’un désir d’autonomie et de découverte que son statut de femme d’expatrié lui permet d’assouvir, elle quitte rapidement Saïgon où son époux, l’artiste Jules Gustave Besson, a été nommé directeur de l’école d’arts appliqués de Gia Dinh, pour partir à la découverte du Cambodge et du Yunnan.

Gagnant Yunnanfu, elle y rencontre des notables locaux, auprès desquels elle approfondit sa connaissance de la culture chinoise, et en apprend les us et coutumes.
Portant sur ses sujets un regard empreint d’une grande bienveillance, Simone Gouzé immortalise ce qu’elle découvre à travers une variété de sujets et de choix formels. Ses portraits et scènes de genre croisent un intérêt ethnographique à une lecture fine et psychologique de ses modèles, approfondie par la relation personnelle qu’elle établit avec eux, puisqu’elle y a rapidement appris le chinois.

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Village chinois annimé dans le sud-ouest de la Chine. Région du Yunnan. Pastel de Simone Gouzé. Elle y représente les villages, pour certains aujourd’hui disparus.
Chinois au chapeau de paille.
Pastel de Simone Gouzé représentant un chinois du Yunnan avec un grand chapeau de paille.

Un regard artistique singulier

A travers ses pastels, elle saisit ainsi l’intimité qui se joue dans des scènes du quotidien, dans un style emprunt d’humilité, de curiosité et de douceur. Sa représentation des visages de femmes, d’enfants, de musiciens ou de vieillards, témoignent des liens de confiance mâtinés de distance respectueuse qu’elle lie avec ses sujets, et qu’elle entretient également avec la Chine des années 30.

Portant un intérêt tout particulier et personnel, relaté dans ses illustrations et ses écrits, pour les figures de femmes, filles, mères à l’enfant, ou courtisanes, elle est animée par une considération sincère, une grande compassion et un fort esprit de sororité envers les femmes qu’elle rencontre, et vis à vis de leurs conditions de vie.

Le pays des Yi

Après la découverte de la chine citadine, Simone Gouzé désire gagner les territoires plus reculés, montagneux, et peu accessibles de l’intérieur du Yunnan.

Elle rejoint donc « le Pays des Lolos » et y fait la connaissance de ceux qui sont aujourd’hui appelés Yi. Ce peuple, dont les origines remontent à plus de 2000 ans, et qui possède sa propre langue, ainsi qu’un système de croyances et des traditions uniques, constitue aujourd’hui le sixième plus grand groupe ethnique de Chine, parmi les 56 recensés.

Parcourant à cheval ces immenses régions, elle documente pendant plusieurs années la vie et les nombreux visages de ceux qui composent ce peuple, à travers des centaines de pastels aux couleurs chatoyantes. Elle y représente les villages, pour certains aujourd’hui disparus : Ko-Kae-Tze, Lou-nan, Chin-Chang-Kéou, Pan-Tiao… Au cœur de cette chine rurale, elle immortalise également les « pirates » croisés sur sa route, témoignages d’un territoire peuplé par des groupes armés indépendants, et qui n’étaient pas encore passés sous la gouvernance du parti Communiste.

Si, par le passé, des missions évangélisatrices avaient parfois gagné cette contrée, Simone Gouzé est néanmoins sans aucun doute la première artiste Française à ramener des représentations artistiques de ces régions, et de ses habitants. Elle constitue ainsi une oeuvre unique, précieuse et personnelle sur la vie des Yi.

Un héritage féministe artistique riche

Le séjour de Simone Gouzé en Chine s’achèvera en 1933, lorsque des problèmes de santé la forceront à regagner la France. Poursuivant plus tard dans sa vie ses explorations en Afrique, elle continuera à raconter en filigrane une histoire de la présence et du regard français sur les territoires et les peuples hors de l’Europe. A travers l’ensemble de son œuvre, Simone Gouzé témoigne d’un désir de connexion avec un « ailleurs » imaginé et imaginaire. Mais c’est aussi l’essence d’une artiste animée par une curiosité, un courage, une détermination et une humanité sincères qui se donne à voir, et dont nous avons la chance de garder aujourd’hui la trace.

Natacha Pope